On change de ton aujourd’hui avec une publication différente de ce que j’ai l’habitude d’écrire sur ce blog.
Je vais vous parler de ce qui s’est passé le 18 janvier 2022. Vous avez peut être vu passé l’info dans la newsletter de Business AM (que je recommande au passage pour diversifier le flux d’informations #dyor)
J’ai été auditionné par le comité d’avis sur les questions techniques et scientifiques du Parlement fédéral de Belgique.
Comité d’avis : c’est quoi?
Un comité d’avis et un type de commission du Parlement. Une commission réunit des députés de tous les partis politiques. On y prépare les travaux de la séance plénière, ce qui permet à cette dernière, de travailler de façon plus efficace et rapide. Des projets de loi et des propositions (propositions de loi, propositions de résolution, propositions visant à créer une commission d’enquête, propositions de révision de la Constitution ) sont présentés, discutés, éventuellement amendés et votés.
Le comité d’avis a ici auditionné des « experts » des cryptomonnaies et de la blockchain. A la suite d’une phase de consultation et d’audition ces députés rédigeront des propositions au Parlement. Le Parlement pourra ensuite voté une loi sur la base de ces propositions.
Une audition utile?
J’ai été auditioné dans un contexte un peu spécial. En effet, mon audition devait initialement avoir lieu le 14 décembre 2021. Elle a été reporté en raison de la situation sanitaire que nous connaissons.
Un report anodin en soi puisque le sujet de mon audition portait sur les cryptomonnaies. Précisons tout de suite que je ne suis pas le premier à être auditionné et que j’étais accompagné d’un autre orateur, Robby Houben, un confrère avocat mais aussi un professeur de droit financier de l’Uantwerpen.
J’avais donc préparé cette audition en décembre 2021 en souhaitant aborder le sujet sur une approche résolument pragmatique et proposer aux parlementaires de cette commission une approche sur 3 axes en vue de donner un coup de boost au secteur technologique belge en mal de cadre(s) réglementaire(s) clair(s).
Comme je l’écrivais, cette audition de décembre a été reportée.
Dans l’intervalle, je découvre, par la presse, qu’un projet de loi est déposé le 21 décembre, afin de réguler les prestataires, non… d’interdire les prestataires de services d’échanges de monnaie virtuellle et de donner un pouvoir de contrôle à la FSMA sur les exploitants d’ATM crypto en Belgique.
Ce projet de loi est adopté d’abord en commission le 12 janvier 2022 et puis le 27 janvier 2022 en séance plénière.
Autant vous dire que le vote en commission d’un tel projet de loi quelques jours avant mon audition me faisait pensait que celle-ci avait une utilité superflue compte tenu la position radicale de nos élus d’interdire, au mépris d’ailleurs d’une remarque du conseil d’Etat par rapport au caractère disproportionné de cette mesure (avec les mois qui viennent de passer, comme puis-je encore m’offusquer d’un tel comportement #covid).
Pour une analyse détaillée de la loi : c’est par ici.
Finalement, cette expérience nouvelle fut instructive et enrichissante. Mon objectif était de proposer une solution pragmatique au Parlement pour légiférer utilement. Si tout le monde est conscient qu’il faut légiférer, la question que tout le monde se pose est de savoir comment.
Voici la note qui a été déposée et qui aborde 3 axes de travail dont l’ordre est important.
Utilisation des crypto-actifs
Il faut d’abord améliorer l’utilisation des crypto-actifs avant toute chose. Mettre en oeuvre un cadre fiscal n’a de sens que si le fait générateur de l’impôt peut se réaliser. Aujourd’hui, on considère que le fait générateur de l’impôt, pour les crypto-actifs, est la réalisation d’une plus-value. Cela nécessite donc la réalisation effective de cette plus value.
Cette plus-value peut se réaliser soit par la conversion en monnaie fiduciaire (€, $, etc…) soit par l’achat d’un bien ou d’un service en crypto actif.
Il faut donc impérativement lever les obstacles moraux et réglementaires pour faciliter l’usage des crypto-actifs aux personnes qui le souhaitent.
Il faut aussi régler la problématique que beaucoup de crypto-investisseurs rencontrent. Les banques ont une « trouille » des cryptos pour différentes raisons ce qui aboutit bien souvent à la fin des relations commerciales entre la banque et son client.
Les crypto-investisseurs de bonne foi se retrouvent « bloquer » avec les fonds et ne peuvent en jouir au mépris très certainement du 1er Protocole de la Convention des droits de l’Homme.
Fiscalité
Le lecteur de ce site sont évidemment au courant des problématiques fiscales en matière de crypto-actifs. Une clarification est nécessaire notamment sur la notion de bon père de famille.
A cet égard, j’ai plaidé en faveur d’une clarification de la notion de bon père de famille.
En effet, tout achat d’un bien « non consommable » est normalement fait dans une optique d’investissement. Un « bon père de famille » ne va pas acheter un actif en espérant qu’il se déprécie. Il faut accepter qu’un bon père de famille achète un actif pour qu’il s’apprécie avec le temps.
Tout autre considération aboutirait à une absurdité.
La gestion normale d’un patrimoine est nécessairement celle faite en vue de le faire fructifier.
Personne ne gère donc normalement son patrimoine pour qu’il perde de la valeur et il est temps de “casser” cette présomption de spéculation.
La gestion normale devrait dont être le principe applicable à tous, la spéculation étant l’exception.
Cadre légal pour l’innovation
Cet axe de travail est proposé mais compte tenu de l’attitude du Parlement à la suite du vote de la loi qui interdit les prestataires de services d’échanges de monnaie virtuelles étrangers à proposer des services en Belgique, on peut légitiment se poser la question de la volonté politique d’œuvrer à créer un cadre légal pour l’innovation.
Quoiqu’il en soit, je plaide pour que nos autorités ne soient pas paralysées par la peur des fraudeurs. Interdire la crypto par peur des dérives est une erreur.
Il faut d’abord encadrer pour baliser et éviter les dérapages.
En proposant un cadre réglementaire proportionné, les acteurs de bonne foi pourront évoluer tandis que les acteurs malicieux, fraudeurs ou mal intentionnés pourront être sanctionnés.
Questions des parlementaires
A la suite des auditions, les parlementaires ont pu poser leurs questions.
En réponse à mon plaidoyer sur la notion de bon père de famille, j’ai pu apprendre qu’investir en bon père de famille c’est de construire une maison car il y aurait une plus-value économique selon un élu du Vooruit (parti issu de la scission du Parti socialiste belge flamand).
Cette réponse et cette considération d’un élu « politiquement de gauche » prête à sourire. Cela signifie donc que la notion de bon père de famille ne s’applique qu’aux personnes financièrement à l’aise?
Que faisons nous de la classe moyenne ou des personnes à faibles revenus?
Doit-on accepter le statu quo?
La DeFi (finance décentralisée) propose des solutions d’investissement intéressantes et avec une propension au risque variée.
Il y a des protocoles d’épargne « traditionnels » qui proposent des rendements bien différents de ce qu’une banque traditionnelle proposerait. Et n’y voyez pas de la spéculation ! C’est l’absence d’intermédiaire et l’extrême automatisation qui permet d’aboutir à ces rendements plus intéressants.
D’autres questions ont été posés, notamment quant aux apparentes incohérences de traçabilité et de recherche d’anonymat. Cette question revient souvent sur la table et traduit une « incompréhension compréhensible ».
Rappelons d’abord qu’une blockchain est une chaîne de blocs. Chaque bloc contient un nombre variable de transactions qui sont liées entre elles. Le bloc X précède le bloc X+1 d’un point de vue chronologique de sorte qu’il est aisé de suivre l’historique des transactions depuis les coordonnées d’un portefeuille.
L’adresse de ce portefeuille est publique tandis que l’identité du propriétaire du portefeuille est privée.
Dès lors, toutes les transactions sont consultables par le public mais il ne sera pas possible, lors de cette consultation, d’identifier qui a fait quelle transaction.
Lorsqu’une personne souhaite rapatrier des fonds, elle va devoir démontrer l’origine licite des fonds qu’elle veut rapatrier. Pour ce faire, elle devra prouver que les X € investis ont été utilisés de telle ou telle manière et que ce montant investi a aboutit à tel montant. Bien entendu, il sera impossible justifier des « entrées » provenant d’activités illicites car il n’y aura pas d’explication possible à donner.
Conclusions
Les questions posées traduisent un intérêt pour la technologie mais aussi une certaine forme de crainte et de prudence.
Il apparait donc nécessaire pour les acteurs du secteur à poursuivre les efforts de pédagogie et de communication pour atténuer les craintes portées sur le secteur.
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