Le 20 décembre 2021, un projet de loi a été déposé au parlement belge par le Gourvernement.
Ce projet est intitulé « projet de loi modifiant la loi du 18 septembre 2017 relative à la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et à la limitation de l’utilisation des espèces afin d’introduire des dispositions au statut et au contrôle des prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales et des prestataires de services de portefeuilles de conservation ».
Derrière ce sombre intitulé, le Ministre des Finances VAN PETEGHEM entend encadrer, de manière assez stricte (voir ci-dessous), l’utilisation des crypto-actifs sur le territoire belge.
Ce projet de loi a été adopté en commission le 12 janvier 2022 et adopté en séance plénière le 27 janvier 2022, selon le site de la Chambre.
TL;DR : Résumé du projet de loi
Le résumé de ce projet de loi nous apprend que l’objectif de cette loi est de permettre à la FSMA :
- De contrôler tous les ATM’s installés sur le territoire belge permettant l’échange de monnaies virtuelles contre des monnaies légales;
- D’interdire aux personnes relevant du droit d’un pays tiers d’offrir, sur le territoire belge des services liées aux actifs virtuels,
Le projet de loi prévoit même une sanction pénale :
- Aux prestataires de services liées aux actifs virtuels qui offrent leurs services sans être inscris auprès de la FSMA;
- Aux personnes relevant du droit d’un pays tiers qui offrent sur le territoire belge, à titre d’activité professionnelle habituelle, des services liées aux actifs virtuels;
Historique
Rappelons d’abord que des dispositions existent déjà en matière de crypto-actifs au sein de la loi du 18 septembre 2017, soit la loi anti-blanchiment.
Depuis le 15 aout 2020, le législateur a défini la monnaie virtuelle comme étant « une représentation numérique d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique« .
Sur la base de cette définition, la notion de prestataire de service de portefeuille de conservation est définie comme étant une « entité fournissant des services de conservation de clés cryptographiques privées pour le compte de ses clients à des fins de détention, de stockage et de transfert de monnaies virtuelles«
Le système de la la loi anti-blanchiment est de soumettre des entités spécifiques à des dispositions en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme. Nous renvoyons le lecteur vers la loi pour ces mesures qui ne font pas l’objet de la présente contribution.
Ainsi, depuis le 15 août 2020, les prestataire de service de portefeuille de conservation établi sur le territoire belge devait respecter une série de critères devant être définis selon un arrêté royal, pas encore voté, à notre connaissance.
Extension à tous les prestataires de services crypto en Belgique
Parmi les apports de ce projet, on voit apparaitre des précisions quant à la définition de certains services.
C’est ainsi qu’est inséré une définition de la notion de “services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales » qui sont « les services consistant à effectuer des opérations d’achat ou de vente de monnaies virtuelles en contrepartie de monnaies légales ou de monnaies légales en contrepartie de monnaies virtuelles, en utilisant des capitaux détenus en propre« .
On va aussi considérer comme établis en Belgique, les prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales et les prestataires de services de portefeuilles de conservation qui ont installé sur le territoire belge des infrastructures électroniques par le biais desquelles ils offrent les services précités.
Comme le projet le précise : « Tous les prestataires de services d’échange entre monnaies légales et monnaies virtuelles et tous les prestataires de services de portefeuilles de conservation qui offrent de tels services en Belgique ne devront donc pas s’inscrire auprès de la FSMA. Seuls sont concernés par l’obligation d’inscription les prestataires de droit belge, ou les prestataires relevant du droit d’un autre État membre de l’EEE qui disposent, en Belgique, d’une succursale, ou de toute autre forme d’établissement stable au sens de la jurisprudence en la matière de la Cour de justice de l’Union européenne« .
Et les prestataires crypto en dehors de Belgique?
Sur la base de ce qui précède, le lecteur avisé comprendra qu’il suffirait de s’établir dans un autre pays que la Belgique pour échapper aux dispositions. Ce serait évidemment trop simple et le législateur y a pensé.
L’exposé des motifs indique :
Etant donné les risques que représentent les services d’échange de monnaies virtuelles et les services de portefeuille de conservation en terme de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme et potentiellement également pour la stabilité financière belge, et compte tenu de l’incertitude quant à la réglementation applicable en dehors de l’Union européenne, il est également proposé de préciser qu’il est interdit aux personnes physiques ou morales relevant du droit d’un pays tiers d’offrir de fournir ou de fournir, sur le territoire belge, à titre d’activité professionnelle habituelle, même complémentaire ou accessoire des services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales ou des services de portefeuilles de conservation.
Tout est dit…. Puisque le législateur ne sait pas contrôler ce qui se passe en dehors de ses frontières, il interdit.
A noter que cette manière de procéder est évidemment contraire aux principes les plus élémentaires comme l’a précisé le Conseil d’Etat dans son avis sur ce projet de loi rendu conformément à la procédure législative belge.
Qu’à cela ne tienne !
L’exposé des motifs continue en indiquant :
Le gouvernement ne donne cependant pas suite à la remarque du Conseil d’État selon laquelle le principe d’interdiction de prestation de services sur le territoire
belge des prestataires de services liés aux monnaies virtuelles relevant de pays tiers, serait disproportionné à l’objectif de contrôle poursuivi. S’il est exact que ces
prestataires pourraient être soumis au contrôle de la FSMA s’ils étaient établis sur le territoire belge, l’absence d’une société établie en Belgique, ou à tout le moins
dans l’Union européenne, est de nature à porter préjudice à l’effectivité d’un tel contrôle (notamment dans le cadre de l’exercice des pouvoirs d’investigation de la
FSMA), ainsi que des mesures coercitives qui pourraient en découler. Il n’est en effet pas crédible de considérer qu’un tel contrôle puisse être exercé, et que de tels
pouvoirs et mesures puissent être appliqués, depuis le territoire belge, à l’égard d’une entité étrangère, de la même manière qu’à l’égard d’une entité relevant du
droit d’un autre État membre, soumise à une législation harmonisée. En autorisant des entités étrangères, qui ne sont potentiellement soumises, dans l’État tiers dont
elles relèvent, à aucune réglementation en matière de prévention du blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, et sans être assuré, de ce fait, de pouvoir
compter sur un contrôle équivalent dans le pays tiers concerné, le gouvernement ferait courir à la Belgique des risques accrus de blanchiment de capitaux et de
financement du terrorisme, dans un secteur par ailleurs reconnu comme étant particulièrement risqué en la matière. Pour ces raisons, le gouvernement estime
que l’interdiction est proportionnée et qu’elle doit être maintenue
Le projet finit par préciser que c’est un régime semblable qui est d’application au Pays-Bas et prévu dans le règlement européen MiCa.
Le règlement européen Mica prévoit en effet que « les services sur crypto-actifs ne devraient être fournis que par des entités juridiques qui ont un siège statutaire dans un État membre et qui ont été agréées en tant que prestataire de services sur crypto-actifs par l’autorité compétente de l’État membre dans lequel est situé ce siège. »
Ce raisonnement peut paraître logique et presque séduisant mais il se heurte à une erreur selon nous… Si la FSMA ne sait pas contrôler ces entités établies à l’étranger, comment va-t-elle appliquer l’interdiction? Si le projet de loi prévoit une sanction pénale à l’égard d’une entité qu’elle ne sait pas contrôler, on peut légitiment se poser la question de l’effectivité d’une sanction pénale à l’égard de pareille entité.
Vers un système d’agrément des prestataires de services crypto?
Afin d’éviter les dérives et les excès, le projet de loi délègue le pouvoir de déterminer « les règles et conditions relatives à l’inscription, auprès de la FSMA, des prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales et des prestataires de services de portefeuilles de conservation, ainsi que les conditions d’exercice de ces activités et le contrôle qui leur sont applicables.«
Ces règles devront notamment exiger des personnes chargées de la direction effective des prestataires de services qu’ils possèdent l’honorabilité professionnelle nécessaire et l’expertise adéquate pour exercer leurs activités.
Rien n’est encore précisé quant aux contenus de ces conditions bien que des références soient faites à la législation bancaire et financière.
Satoshi doit être ravi 🙂
Un double discours?
L’examen du projet laisse penser à une volonté manifeste d’encadrer, de manière stricte, le secteur de la crypto.
A titre personnel, nous pensons qu’il est nécessaire d’apporter un cadre juridique clair au secteur afin de baliser l’action des acteurs.
Néanmoins, il ne faudra pas créer une véritable usine à gaz. Evitons à tout prix les procédures longues et complexes. Le régime de PSAN en France a été lancé en 2020 et rencontrer un beau succès avec l’agrément de près de 2 entreprises données chaque mois entre 2020 et 2022.
Nous pouvons trouvé un peu de réconfort dans les récents propos tenus par le Ministre VAN PETGHEM, à l’origine du projet de loi commenté ci-dessus.
En effet, on peut lire dans un article de François Remy, que la vision du Ministre sur la blockchain est encourageante.
Interrogé sur l’émission d’obligations réalisée par la Banque européenne d’investissement sur Ethereum :
« Il est vrai qu’il existe de nombreuses ambiguïtés concernant l’impact environnemental des blockchains. Ce qui est clair, cependant, c’est que les blockchains diffèrent grandement à cet égard, principalement en termes de protocole de consensus utilisé », a relativisé Vincent Van Peteghem, opposant le protocole proof-of-work de Bitcoin, délibérément énergivore, à la proof-of-stake que tente d’adopter le réseau Ethereum à court ou moyen terme. « Ce qui réduira considérablement son intensité énergétique ».
Du reste, la différence de « coût énergétique » entre une émission d’obligations traditionnelles et d’obligations numériques par la BEI n’est pas connue. Que des instances publiques prennent l’initiative d’émettre des obligations via Ethereum et d’accélérer l’utilisation de la technologie par d’autres acteurs de marché peut sembler contre-intuitif face aux graves et urgents enjeux climatiques.
« Les blockchains ne sont pas nécessairement énergivores. La technologie blockchain n’en est qu’à ses débuts: de nouveaux protocoles de consensus sont encore en cours d’élaboration. La BEI dans son approche, tente de montrer la direction la plus positive possible dans ce nouveau mode de transaction », a tempéré le ministre des Finances.
François Rémy – 14 janvier 2022
Croisons les doigts !