Le 8 juin 2021, la Banque nationale belge a publié une circulaire sobrement intitulée : « Les devoirs de vigilance à l’égard des rapatriements de fonds depuis l’étranger et la prise en compte des procédures de régularisation fiscale pour l’application de la loi anti-blanchiment« .
Cette circulaire a fait l’objet d’une attention particulière du secteur fiscal et bancaire car ce « rapatriement de fonds » se matérialise, notamment, dans le cadre des procédures de régularisations des capitaux (cfr régime des DLU ici et là).
Si ces problématiques concernent principalement les actifs « non déclarés » puis rapatriés moyennant le paiement d’un pourcentage conséquent, le secteur de la crypto trouvera dans cette circulaire de précieuses informations qui auront une incidence sur le rapatriement éventuel de fonds issus des crypto-actifs.
En effet, les crypto-investisseurs sont de plus en plus confrontés au problème de rapatriement de leurs fonds. Alors qu’il y a quelques années, rapatrier ses gains issus de la crypto-sphère vers un compte bancaire ne posait que peu ou pas de problème, force est de constater qu’aujourd’hui, la situation est tout autre.
Nous avons recueilli plusieurs témoignages de personnes qui n’arrivent pas à rapatrier leurs fonds car leur banque refuse ce type de transaction qu’elle qualifie parfois de « douteuse », « dangereuse » ou encore « atypique » (plus d’infos sur ces banques dans notre article « les banques qui acceptent les cryptos en Belgique« ). Pourtant, un régime juridique existe et les banques ont différentes obligations que nous examinerons ci-dessous.
Blanchiment d’argent : qu’est-ce que c’est concrètement?
D’abord, de quoi parlons nous? La problématique généralement soulevés par les spécialistes du secteur est le risque de blanchiment d’argent mais qu’est-ce que cela veut dire?
Le blanchiment d’argent est la dissimulation de capitaux ou de fonds dont on connaît l’origine illicite (drogue, extorsion, escroquerie, vente d’armes, fraude …).
https://diplomatie.belgium.be/fr/politique/themes_politiques/paix_et_securite/corruption_blanchiment_de_capitaux_et_financement_du
En Belgique, il existe un organisme qui va traiter les informations financières. Il s’agit de la Cellule de Traitement des Informations Financières (CTIF) qui va agir à titre préventif dans la lutte contre le blanchiment d’argent d’origine criminelle.
L’origine « criminelle » de l’argent doit se comprendre comme provenant d’une infraction pénale (ex. vente de stupéfiant) ou d’un revenu imposable non déclaré et donc non taxé (revenu professionnel non déclaré dans le cadre d’une vente « au noir » par exemple).
Ces obligations anti-blanchiment proviennent d’une législation européenne (la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015). En droit européen, une directive doit être transposée dans l’ordre juridique de l’état membre. Cela permet donc à l’état membre de transposer les principes imposés par l’Union européenne mais aussi d’éventuellement aller plus loin sur certains points.
En Belgique, la directive a été transposée dans la loi du 18 septembre 2017.
La lutte contre le blanchiment d’argent comporte 2 parties :
- Une partie préventive : un devoir de collaboration et de transmission d’informations est instaurée à l’égard de certains acteurs clés (banques, notaires, …) afin de détecter les opérations financières suspectes. Lorsqu’il existe une suspicion le acteurs soumis à la loi anti-blanchiment doivent informer la CTIF. On parle d’obligation de dénonciation.
- Une partie répressive : une disposition légale est insérée dans le Code pénal afin de sanctionner trois types de comportements susceptibles de constituer le délit de blanchiment à savoir :
- le recel élargi : soit le fait d’avoir acheté, reçu en échange ou à titre gratuit, possédé, gardé ou géré les avantages patrimoniaux tirés d’une infraction ;
- la conversion ou le transfert des dits avantages patrimoniaux, dans le but de dissimuler ou de déguiser leur origine illicite ;
- la dissimulation ou le déguisement de la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété des avantages patrimoniaux. Ce cas vise surtout l’utilisation de prête-noms, d’hommes de paille, de sociétés écrans ou le recours à des sociétés ou des institutions financières situés dans des territoires offshore, paradis fiscaux, par exemple.
Les institutions financières examinent le risque à l’aune de plusieurs critères comme le montant des opérations, le pays d’origine des capitaux concernés, la connaissance de l’établissement financier sur le client et sur son patrimoine, la connaissance sur la donation ou sur l’héritage, caractéristiques du client…).
L’infraction de blanchiment suppose un élément moral. L’intention de déguiser ou dissimuler l’origine des avoirs est requise. Comme nous le verrons ci-dessous, cette intention est « temporellement » impossible lorsque vous rapatriez vos fonds issus de la crypto.
Le blanchiment d’argent dans le monde des crypto-actifs
C’est évidemment la question qui est au coeur de ce débat.
Nous mettrons de côté l’aspect criminel des crypto-actifs car la réponse est évidente. Si une personne vend des stupéfiants et qu’elle est payée en crypto, elle ne pourra jamais démontrer l’origine licite des fonds. Avec la hype des NFT, des nouvelles tactiques ont été utilisées par les fraudeurs pour tenter de dissimuler l’origine licite des fonds (voir par exemple ici).Une fois encore, ces pratiques sont mises en œuvre pour maquiller l’origine illicite des fonds et sont donc illégales.
C’est malheureusement à cause de ces pratiques qu’une forme de « paranoia » des cryptos trouve écho au sein du monde bancaire qui, par précaution, refusera toute transaction provenant de la crypto-sphère de peur d’être complice de blanchiment d’argent.
Néanmoins, bien qu’il n’existe pas de source officielle, nous constatons qu’une grande partie des crypto-investisseurs ne sont pas des délinquants ou de grands bandits, avides de moyens de blanchir le produit de leurs larcins.
Si nous mettons donc de côté les aspects purement criminels, l’achat d’un crypto-actif, au moyen de vos économies personnelles, n’a rien d’illégal.
Si vous revendez ce crypto-actif, 3 cas de figures peuvent se produire:
- Vous revendez moins cher que le prix d’achat : vous faites donc une perte (une moins-value);
- Vous revendez au même prix : pas de perte ni de plus value;
- Vous revendez plus cher que le prix d’achat : vous réalisez une plus-value (presque💎💎🙌 :D) .
C’est lors de la réalisation de la plus value que le fait générateur de l’impôt se matérialise. Vous devrez donc vous poser la question de savoir si cette plus-value est imposable (voir à ce sujet : Gestion normale ou spéculation des crypto : quelles sont les différences en droit belge ?).
Il se pourrait donc que la plus-value réalisée soit une plus value imposable et donc devant être déclarée pour être taxée.
D’un point de vue temporel, la déclaration de la plus value est toujours postérieure à sa réalisation. C’est loin d’être un détail car la circulaire dont question ci-dessus indique que si une banque « accepte de réceptionner des fonds dont il sait, soupçonne ou a des raisons de soupçonner qu’ils n’ont pas subi le régime fiscal qui aurait dû leur être appliqué, il lui appartient de s’assurer que le client a effectivement mis en œuvre les mesures nécessaires pour régulariser la situation des fonds sur le plan fiscal. »
Vu la temporalité énoncée ci-dessus, il est impossible de déclarer anticipativement l’éventuelle plus-value taxable et toute exigence de la banque en ce sens nous apparait problématique.
En résumé: comment faire?
Comme exposé ci-dessus, une banque a des obligations et notamment un devoir de vigilance. Ainsi, il n’est pas exigé expressément que « l’origine des fonds soit prouvée en bonne et due forme mais qu’une personne raisonnable puisse être convaincue de la licéité de l’origine des fonds et que, si possible, celle-ci soit corroborée par des documents, le tout proportionnellement, au risque de blanchiment « .
Il faudra donc prouver de manière suffisante l’origine des fonds.
Pas question donc de se limiter à prouver que les X € investis en 2014 sont devenus Y € en 2022. En effet, le fait d’avoir acheter un montant de X € en 2014 ne suffit pas à démontrer l’origine licite des Y € en 2022.
Il peut y avoir eu un nombre important de scénarii qui viendraient disqualifier la licéité des fonds. Ex.: un ami vous verse des fonds sur votre wallet pour acheter la toute dernière pépite crypto qui fera un x100. Dans un pareil cas, il sera assez difficile de justifier, document à l’appui, l’arrivée de ces fonds dans votre patrimoine.
Nos recommandations :
Récolter et conserver l’historique de vos transactions. Rappelez vous qu’une blockchain est un registre et que toutes les transactions sont enregistrées et consultables. Il est donc aisé de remonter la chaine (des transactions et aussi de blocks :)) pour justifier que les X € investis sont devenus Y €.
Pour améliorer la lisibilité de ces transactions, il existe des logiciels spécialisés qui vont extraire les logs de ces transactions depuis votre clé publique, pensez-y 😉
Pour aller plus loin :
Le GAFI, le groupe d’action financière, est un organisme intergouvernemental de lutte contre le blanchiment d’argent. Il a mis à jour ses lignes directrices en matières d’actifs « virtuels » (virtual assets) en octobre 2021.
Ce document est à lire conjointement avec le projet de règlement sur le marché de crypto actif (voir à ce sujet Un règlement européen sur le marché des crypto-actifs).