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Deux décisions françaises récentes envoient un message très clair aux intermédiaires financiers qui gravitent autour des crypto-actifs.

Elles ne concernent pas directement la Belgique, mais elles annoncent très bien le type de contentieux qui va se développer chez nous à l’ère de MiCA.

1. Binance France forcée de livrer l’historique de wallets

De quoi s’agit-il exactement ? Dans l’ordonnance de référé du 5 novembre 2025, le tribunal judiciaire de Paris est saisi par une société, North Star Network, victime d’un salarié infidèle.

Ce salarié aurait fait payer un client sur ses propres portefeuilles crypto, ouverts chez Binance France, au lieu du compte bancaire de son employeur. Les factures litigieuses mentionnaient deux adresses Ethereum, alors que les factures « authentiques » mentionnaient un compte Crédit Mutuel.

North Star a déjà obtenu, via une première ordonnance contre Binance, l’identité du détenteur des wallets, confirmant qu’il s’agissait bien de l’ex-salarié. Elle veut désormais l’historique complet des transactions sur ces portefeuilles, de janvier 2023 à décembre 2024, pour préparer une action en justice pour escroquerie.

Le juge des référés français constate l’existence d’un « procès en germe, non manifestement voué à l’échec » contre le salarié, que l’historique des transactions est nécessaire pour améliorer la situation probatoire de la société, et il estime que la mesure est proportionnée (limitée dans le temps et ciblée sur deux adresses précises) et qu’aucun secret légal ne s’y oppose.

Résultat : Binance France est condamnée à communiquer l’historique des transactions sur les deux wallets litigieux dans un délai de 15 jours.

Ce n’est pas (encore) une condamnation de Binance au fond, mais une décision qui consacre le rôle de la plateforme comme réservoir de preuves.


2. Worldpay et la « vigilance » du prestataire de services de paiement

Dans l’arrêt du 1er octobre 2025, la Cour de cassation française se penche sur un schéma malheureusement très classique : un investisseur français est démarché par des plateformes de trading en ligne (Forex et options binaires), il effectue plusieurs virements depuis son compte BNP Paribas vers un compte détenu en France par Worldpay (PSP de droit anglais), compte mis à la disposition d’une société néerlandaise, Seroph Holding BV, prestataire de services de paiement pour ces sites.

Problème : certaines des plateformes bénéficiaires figuraient sur la liste noire de l’AMF (placements à haut risque ou arnaques connues) dès 2013, Worldpay disposait d’informations contractuelles sur Seroph, notamment l’identité des sites marchands utilisés, les ordres de virement mentionnaient le nom des sociétés black-listées et une référence Seroph permettant d’identifier le destinataire final.

La Cour approuve la cour d’appel : elle retient l’existence d’anomalies apparentes sur le fonctionnement du compte, elle juge que Worldpay ne pouvait ignorer que Seroph relevait des professions réglementées, elle constate que des virements étaient effectués au bénéfice de sociétés inscrites sur la liste noire AMF, et en déduit un manquement à l’obligation de vigilance, justifiant la condamnation de Worldpay in solidum avec Seroph pour indemniser l’investisseur.

C’est un arrêt publié au Bulletin, donc clairement destiné à faire jurisprudence.

💡 Un PSP qui ferme les yeux sur des signaux d’alerte publics (comme les listes noires de l’AMF(AMF)) prend un risque contentieux sérieux.


3. Ce que ces décisions signifient, concrètement, pour un investisseur crypto

Même si ces affaires sont françaises, elles intéressent directement un investisseur belge, pour trois raisons.

3.1. Les plateformes crypto deviennent des « banques de données » pour les victimes

L’affaire Binance montre qu’un juge peut identifier un utilisateur à partir de wallets hébergés sur une plateforme centralisée, puis exiger l’historique complet des transactions, quand cela est nécessaire pour un procès futur.

Appliqué au monde crypto : le discours « les cryptos, c’est anonyme, on ne retrouvera jamais rien » devient de moins en moins crédible. Dès qu’un escroc passe par un CASP centralisé (exchange, broker, custodial wallet), il existe un point de contact juridique : KYC, données d’accès, historique des transferts on-chain et off-chain.

Pour un investisseur victime d’arnaque, cela montre qu’il est stratégiquement utile de viser la plateforme dans les demandes de mesures d’instruction, même avant d’intenter une action au fond.


3.2. Les prestataires de paiement ne peuvent plus jouer les « tuyaux neutres »

Avec l’arrêt Worldpay, la Cour de cassation envoie un message transposable au monde crypto :

Un prestataire de services de paiement n’est pas un simple tuyau ; en présence d’indices sérieux de fraude (anomalies apparentes), il doit s’interroger, voire agir.

Dans l’affaire Worldpay; la Cour estime que Worldpay savait que Seroph fournissait des solutions de paiement à des sociétés non régulées et en difficulté, savait que certaines figuraient sur la liste noire de l’AMF, avait sous les yeux des ordres de virement mentionnant ces sociétés et la référence de Seroph.

La Cour considère que ces éléments constituaient des signaux rouges, suffisants pour caractériser un manquement à la vigilance.

Pour un investisseur belge, cela signifie qu’à terme : un PSP ou une banque qui laisse passer, sans réagir, des flux vers une plateforme clairement répertoriée par la FSMA comme frauduleuse(News & warnings | FSMA) pourrait se voir reprocher un comportement similaire surtout si les mises en garde sont publiques et répétées (FSMA, Febelfin, banques…). (News & warnings | FSMA)


4. Convergence avec le cadre MiCA

4.1. MiCA : un socle européen désormais en vigueur

Le règlement MiCA est entré en vigueur et s’applique en deux temps. En juin 2024 : entrée en application des règles sur les stablecoins (ART/EMT), et le 30 décembre 2024 : application des règles pour les autres crypto-actifs et les CASPs (exchanges, custodians, etc.). (ESMA)

Les États membres ont prévu une période transitoire pour les acteurs déjà actifs avant MiCA, jusqu’en juillet 2026 environ pour se mettre en ordre ou obtenir une autorisation. (AMF)

4.2. La Belgique se dote (enfin) d’un cadre MiCA opérationnel

Le 9 octobre 2025, le Parlement belge a déposé le fameux « Crypto Bill » qui : intègre les dispositions MiCA dans le droit belge, désigne les autorités compétentes pour superviser les activités crypto : FSMA : protection des investisseurs, conduite de marché, offres au public, BNB : aspects prudentiels, stabilité financière, SPF Économie : certains volets de protection du consommateur.

La FSMA communique déjà sur l’impact de MiCA pour les prestataires de services sur crypto-actifs en Belgique. (News & warnings | FSMA)

En pratique :

Un exchange ou un broker crypto qui cible des clients belges devra entrer dans le cadre MiCA, avec des obligations renforcées en termes de gouvernance, lutte contre le blanchiment, protection des clients, gestion des réclamations.

On se rapproche donc d’un environnement où les raisonnements de la jurisprudence française (devoir de vigilance, anomalies apparentes, listes noires) auront toute leur pertinence devant les juridictions belges.


5. Mon interprétation : trois signaux forts pour l’écosystème

5.1. Fin du mythe du « tout est perdu sur la blockchain »

L’ordonnance Binance illustre un mouvement de fond : les juridictions acceptent de plus en plus de forcer les CASPs à lever une partie du voile sur les flux crypto, dès qu’un wallet est hébergé chez un acteur centralisé, l’argument de « l’anonymat absolu » perd toute sa force.

Pour un investisseur, cela signifie que porter plainte et demander des mesures d’instruction ciblant une plateforme (historique, KYC, logs) peut réellement améliorer les chances de retracer l’auteur de l’infraction.

5.2. Les intermédiaires qui ignorent les listes noires s’exposent

Avec Worldpay, la Cour consacre une idée simple mais puissante :

Quand les signaux d’alerte sont publics, l’ignorance n’est plus une défense crédible.

Transposé à la Belgique : un PSP, une banque ou même un CASP MiCA qui continue d’ouvrir ou maintenir des relations d’affaires avec des plateformes clairement signalées par la FSMA comme soupçonnées de fraude prend un risque contentieux, surtout si les flux qui transitent correspondent exactement au type de schémas dénoncés (trading très spéculatif, promesses de rendement irréaliste, démarchage agressif, etc.).

On voit se dessiner une norme européenne de vigilance : vérifier les listes noires (FSMA, AMF, ESMA), commenter et évaluer les risques dans sa compliance interne, éventuellement refuser ou bloquer certaines opérations.

5.3. MiCA va servir de « catalyseur » pour la responsabilité civile

MiCA n’organise pas directement la responsabilité civile des CASPs, mais il crée une densité normative (obligations d’information, de gestion des conflits d’intérêts, de sauvegarde des actifs des clients, etc.), il fournit aux juges un référentiel clair pour apprécier si le comportement d’un prestataire est « normal » ou non.

Je m’attends donc à voir, dans les prochaines années en Belgique : des contentieux où l’on reproche à un CASP ou à une banque de ne pas avoir réagi alors que la plateforme bénéficiaire : était sur une liste noire FSMA, faisait l’objet de multiples warnings officiels, ne respectait manifestement pas les standards MiCA, des demandes de type « Worldpay » dirigées contre des PSP/banques belges, quand des virements ont servi à alimenter des arnaques en ligne.


6. Réflexes à adopter pour une arnaque crypto

Quelques réflexes très concrets, à la lumière de ces décisions :

Vérifier systématiquement les listes noires
Avant de déposer des fonds sur une plateforme, consultez les listes de la FSMA (et de l’AMF si la plateforme semble « française » ou francophone).

Identifier tous les intermédiaires et les flux. Dans une anrnaque, il n’y a pas que l’escroc : banque émettrice, PSP intermédiaire, banque réceptrice, CASP (exchange, broker, wallet custodial). Chacun peut être poussé à coopérer (pour la preuve) et, parfois, mis en cause (pour un défaut de vigilance).

Réagir vite, mais pas seulement auprès de la police
En cas de doute sérieux : contactez votre banque/PSP pour tenter un blocage ou un rappel de fonds, signalez les faits à la FSMA, consultez rapidement un avocat pour envisager des mesures d’instruction pénales.

Privilégier des acteurs régulés et transparents. Dans le monde post-MiCA, la question est de savoir si la plateforme dispose d’une autorisation MiCA ou est-elle en phase transitoire, publie-t-elle des informations claires sur la sécurité des actifs clients ? Comment gère-t-elleles réclamations et incidents ?


Ces décisions françaises ne sont pas encore du droit belge, mais elles donnent le ton : les CASPs comme Binance sont considérés comme des partenaires obligés de la justice en matière de preuve ; les PSP comme Worldpay ne peuvent plus ignorer les signaux d’alerte émis par les régulateurs (listes noires, warnings) sans engager leur responsabilité.

Avec MiCA et le Crypto Bill belge en cours, notre cadre juridique se rapproche de celui de la France, et les juges belges auront toutes les cartes en main pour suivre des raisonnements similaires.

Je continuerai à suivre ce type de jurisprudence, en France, en Belgique et au niveau européen.


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