L’Union européenne (UE) a voté une nouvelle directive en matière de transparence fiscale. Son nom: DAC 8. Selon la Commission européenne, l’émergence de moyens de paiement et d’investissement alternatifs, tels que les cryptoactifs et la monnaie électronique, menace de compromettre les progrès accomplis ces dernières années en matière de transparence fiscale et poseraient des risques importants de fraude fiscale.
Cette directive vise donc à étendre le cadre actuel de coopération administrative pour inclure les transactions en cryptoactifs et les prestataires de services qui y sont associés.
Bien que ce texte soit publié depuis octobre 2023 au Journal officiel de l’Union, je rencontre de plus en plus de clients qui s’interrogent sur l’application de cette directive et les effets de celles-ci sur leur patrimoine.
Plusieurs imprécisions et incompréhensions ressortent régulièrement ce qui me laisse considérer que les sources d’informations consultées par ces personnes ne sont pas tout à fait fiables ou pertinentes.
J’ai donc décidé d’examiner les principaux aspects de cette directive et ses implications pour l’industrie et les investisseurs crypto belge.
1. Contexte
L’UE s’efforce d’améliorer la transparence fiscale et la lutte contre l’évasion fiscale. La directive sur la coopération administrative (DAC) est un outil qui permet d’atteindre cet objectif et permet l’échange d’informations fiscales entre États membres.
Avec, l’essor des cryptoactifs et leur caractère numérique, décentralisé et pseudonyme, cela complique le travail des autorités fiscales. En outre, de nouveaux acteurs sont apparus sur le marché. Ces acteurs, les prestataires de services en cryptoactifs (ci-après les PSCA), échappaient aux obligations de déclaration traditionnelles du secteur financier puisque le cadre juridique des cryptoactifs étaient en construction et des dispositions existaient de façon éparpillées dans l’un ou l’autre Etat membre (le Luxembourg a un PSCA depuis 2015, la Belgique a légiféré à partir de 2022 alors qu’un PSCA exerçait ses activités depuis 2018 sans réel cadre juridique clair)
DAC 8 vise à combler ces lacunes en :
- Imposant des obligations de déclaration aux PSCA;
- Élargissant l’échange automatique d’informations entre pays de l’UE aux données sur les cryptoactifs ;
Cette initiative s’inscrit dans un effort plus large de l’UE pour encadrer le secteur, incluant déjà des règles anti blanchiment et le règlement MiCA (marchés de cryptoactifs). Ces mesures peuvent apparaitre comme intrusives et vont surtout à l’encontre d’une philosophie libertaire qu’on rencontre dans l’univers des cryptoactifs.
Cette future « hypersurveillance » va certainement inciter encore plus d’investisseurs crypto à quitter les plateformes d’échange centralisées puisque ce sont principalement celles-ci qui seront les intermédiaires prochainement soumis à ces obligations de transparence et de déclaration.
2. Champ d’application
DAC 8 s’appuie sur la définition des cryptoactifs du règlement MiCA qui consiste à considérer les cryptos comme
« une représentation numérique d’une valeur ou de droits pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire »
Sont donc exclus :
- Les monnaies numériques de banque centrale;
- La monnaie électronique traditionnelle (déjà encadrée dans les précédentes directives DAC)
- Les cryptoactifs à usage « limité » soit ceux qui sont jugés par le PSCA comme n’étant pas utilisé à titre de moyen de paiement ou d’investissement.
L’UE exclut pour l’instant les jetons non fongibles (NFT) du champ d’application à l’instar de ce qui se fait dans le règlement Mica (et contrairement au cadre CARF de l’OCDE par exemple).
L’exclusion relative aux cryptoactifs à usage limité amènent sont lot de questions et plus particulièrement sur la manière dont les PSCA vont déterminer l’usage du cryptoactifs.
Comme je l’écrivais ici et là, les difficultés d’identifier les transactions sont grandes au regard du caractère pseudonyme de la blockchain et la question de savoir ce qui n’est pas utilisé à titre de moyen de paiement ou d’investissement nécessite une source d’informations qui n’est a priori pas disponible à tout le monde. Pour réaliser cet objectif, l’arsenal législatif se met en place pour imposer l’identifications de portefeuille (ci-après « wallet ») à plusieurs niveaux pour réussir à qualifier quel cryptoactif est utilisé comme moyen de paiement ou d’investissement.
A titre d’exemple, si un commerçant reçoit des paiements sur son wallet auto-hébergé, les transactions opérées vers ce wallet devraient être considérées comme utilisées à titre de moyen de paiement. Cependant, en ne connaissant pas l’identité derrière le wallet « commerçant », qui pourra le déterminer? Quel(s) seront les critère(s) utilisés?
La situation n’est pas claire et les défis pour les PSCA seront importants tout comme le risque de voir « toutes » les transactions reprises à titre de moyen de paiement (par facilité ou excès de prudence (?)) également.
3. Les prestataires concernés
Les obligations de déclaration s’appliquent aux PSCA, définis comme toute entité fournissant professionnellement des services liés aux cryptoactifs à des tiers.
Sont donc concernés :
– Les PSCA établis dans l’UE;
– Les PSCA hors UE ciblant activement le marché européen;
– Les PSCA hors UE ayant des utilisateurs dans l’UE, même sans cibler spécifiquement ce marché;
La définition des services sur cryptoactifs est large et inclue notamment :
– La conservation et l’administration de cryptoactifs;
– L’exploitation de plateformes de négociation;
– L’échange contre des devises ou d’autres cryptoactifs;
– L’exécution d’ordres;
– Le conseil et la gestion de portefeuille;
Un élément notoire est que les PSCA hors UE, qui ne cible pas le marché UE et qui ont des clients UE devront se soumettre à cette réglementation. Cela
4. Obligations de déclaration et de vérification
Informations à déclarer
Les PSCA devront déclarer annuellement pour chaque client résident fiscal d’un État membre :
- la dénomination complète du type de Crypto-actif à déclarer;
- le montant brut total payé, le nombre total d’unités et le nombre de transactions à déclarer pour les acquisitions en échange de fiat;
- le montant brut total reçu, le nombre total d’unités et le nombre de transactions à déclarer pour les cessions en échange de fiat;
- la juste valeur de marché totale, le nombre total d’unités et le nombre de transactions à déclarer pour les acquisitions en échange d’autres cryptoactifs à déclarer;
- la juste valeur de marché totale, le nombre total d’unités et le nombre de transactions à déclarer pour les cessions en échange d’autres cryptoactifs à déclarer;
- la juste valeur de marché totale, le nombre total d’unités et le nombre d’opérations de paiement de détail à déclarer;
- la juste valeur de marché totale, le nombre total d’unités et le nombre de Transactions à déclarer, avec une ventilation par type de transferts lorsque celui-ci est connu du PSCA déclarant, pour les transferts destinés à l’Utilisateur devant faire l’objet d’une déclaration non couverte ;
- la juste valeur de marché totale, le nombre total d’unités et le nombre de transactions à déclarer, avec une ventilation par type de transferts lorsque celui-ci est connu du Prestataire de services sur cryptoactifs déclarant, pour les Transferts effectués par l’Utilisateur devant faire l’objet d’une déclaration non couverte ;et
- la juste valeur de marché totale ainsi que le nombre total d’unités des Transferts effectués par le Prestataire de services sur cryptoactifs déclarant à des adresses de registres distribués visées dans le règlement MICA qui ne sont pas manifestement associées à un prestataire de services sur actifs virtuels ni à une institution financière.
Des précisions seront requises sur la nature des transferts (ex: airdrop, staking, remboursement de prêt).
Les paiements de détail dépassant 50.000€ feront l’objet d’un traitement spécifique.
Les transferts vers des portefeuilles externes devront aussi être déclarés, sauf s’ils sont liés à un autre PSCA ou une institution financière identifiée.
Procédures de vérification
Les PSCA devront mettre en place des procédures pour collecter et vérifier les informations sur leurs clients, notamment :
- Obtenir une auto certification de la résidence fiscale;
- Collecter les éléments d’identification requis;
6. Implications pour l’industrie crypto
Ces nouvelles obligations sont un un pas de plus de l’intégration des cryptoactifs dans le « monde juridique ». Cette intégration nécessitera des adaptations et des contrôles (encore plus) importants pour les prestataires comme pour les utilisateurs de cryptoactifs.
Ainsi, les PSCA devront :
– Adapter leurs systèmes pour collecter et déclarer les informations requises;
– Renforcer leurs procédures de vérification des clients;
– Se préparer à des contrôles accrus des autorités;
Les utilisateurs de cryptoactifs doivent s’attendre à :
– Plus de demandes d’informations de la part des plateformes;
– Une transparence accrue de leurs transactions pour les autorités fiscales;
L’introduction de DAC 8 pourrait inciter de nombreux utilisateurs de cryptoactifs à migrer vers des plateformes décentralisées ou des solutions de portefeuille personnel pour échapper à cette nouvelle surveillance.
7. Calendrier et prochaines étapes
En droit européen, une directive n’a pas d’effet direct et doit être transposée en droit national. Il faut donc qu’une loi soit votée dans chaque état pour que ces dispositions soient applicables.
La directive prévoit que les États membres adoptent et publient, au plus tard le 31 décembre 2025, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive.
A notre connaissance, la Belgique n’a pas encore adopté de disposition relative à la transposition de ce directive à l’été 2024 ce qui n’empêchera pas des PSCA établis dans d’autres pays de transmettre ces informations.
8. Conclusion
DAC 8 marque une nouvelle étape dans la régulation des cryptoactifs en Europe. En imposant la transparence fiscale comme condition d’accès au marché européen, l’UE cherche à concilier innovation et contrôle.
Ce cadre s’inscrit dans une approche globale incluant la lutte anti blanchiment, la protection des consommateurs et bientôt l’harmonisation de la fiscalité des plus-values (?)
Les acteurs du secteur doivent se préparer à ces nouvelles exigences qui, bien que contraignantes, pourraient à terme renforcer la légitimité et l’adoption des cryptoactifs.
Reste à voir comment ce cadre européen s’articulera avec les initiatives mondiales et comment il s’adaptera à l’évolution rapide des technologies blockchain.