⚠️ Avertissement : Monnaie virtuelle, risques réels. En crypto seul le risque est garanti. En savoir plus

La fiscalité des crypto-actifs est un sujet complexe en Belgique en raison de l’absence de régime unifié et codifié. J’essaie, au travers de ce site et des mes diverses interventions, d’exposer les choses de manière claire et compréhensible.

Malheureusement, comme le dit l’expression consacrée, pour danser le tango, il faut être deux!

Transposé à la fiscalité des crypto-actifs, la loi étant relativement peu claire, même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de tout clarifier.

La complexité fiscale n’est pas propre aux crypto-actifs. Elle résulte d’une absence de définition de certains termes dans le code d’impôts. Savoir si son revenu est taxable est une chose mais il faut avant cela, savoir ce qu’est un revenu !

A ce sujet, certains conseillers fiscaux estiment que les opérations de conversion d’une cryptomonnaie/crypto-actifs vers une autre cryptomonnaie/crypto-actifs sont taxables. Selon eux par exemple, un achat d’ETH avec du BTC qui génère une plus-value serait donc soumis à taxation.

Cette analyse revient régulièrement mais je peine à trouver un cas concret ? Cela voudrait dire qu’il y a un exchange (plateforme d’échange comme Binance, Kraken, FTX, … ) où un swap de 100$ de BTC permet d’avoir +de 100 $ d’ETH ?? C’est donc un swap à perte pour la plateforme ?
Même chose sur les échanges décentralisés. Sans compter sur les frais de transactions et le slippage (de 0.5% à 1% en moyenne), qui viendraient « absorber » l’éventuelle plus-value.

J’ai donc beaucoup de doutes sur la possibilité de réaliser une plus-value dans pareille situation….

Une autre interprétation serait de considérer la situation suivante :

2018 : achat d’1 BTC à 10.000 $

2021 : swap d’1 BTC à 50.000 $ (en ETH ou en stablecoin par exemple)

Dans cette situation, il y a une plus-value latente de 40.000 $. Cette plus-value n’est pas réalisée mais certains estiment que lors de conversion BTC>ETH ou BTC>USDT (par ex.), il faudra déclarer la plus-value de 40.000 $ si elle est taxable (en revenus divers ou professionnels).

Cela reviendrait à considérer que les plus-values en crypto-actifs sont certaines et exigibles et mettrait à néant le principe selon lequel c’est la réalisation d’une plus-value qui est taxable.

Si cette interprétation peut être proposée, elle va, selon moi, à l’encontre des principes et des dispositions qui existent.

En outre, je ne pense pas que cette interprétation soit légale au regard de la situation juridique belge actuelle.

La taxation des plus-values réalisées

En Belgique, on admet que c’est au moment de la réalisation de la plus-value qu’il y a un revenu. La réalisation signifie, dans le monde des crypto-actifs, la vente des crypto-actifs en monnaie fiduciaire.

Comme avec les actions boursières: si vous n’avez pas vendu, vous n’avez pas perdu mais vous n’avez pas gagné non plus….

Cette notion de plus-value implique notamment une dépossession d’un actif du patrimoine du contribuable. Il ne peut y avoir une plus-value que lorsque un bien sort du patrimoine (généralement une vente).

Le contribuable a échangé un actif contre un autre pour une quantité équivalente en fonction des cours du marché.

Cependant, certains considèrent que cet échange équivaut à la réalisation d’une plus-value sans réellement développé la raison de cette conclusion (voir ci-dessous).

La notion de plus-value latente

Par ailleurs, l’appréciation du cours d’un crypto-actif actif n’entraine pas une plus-value effective. Il y a une plus-value latente.

Un cas fréquent de plus-value latente se rencontre dans les sociétés où un actif (un immeuble par exemple) est complètement amorti (0 dans les comptes de la société mais tout le monde sait que l’immeuble ne vaut pas 0).

Si l’on réévalue l’immeuble ou l’actif à sa valeur de marché, il faudra alors acter une plus-value dans les comptes de la société pour équilibrer le bilan. Cet équilibrage est nécessaire puisque la réévaluation de l’actif/l’immeuble va engendre une plus-value de réalisation qui sera considéré comme un produit exceptionnel d’un point de vue comptable.

La plus-value latente est donc une plus-value « virtuelle » non actée et donc non réalisée.

On ne taxera donc la plus-value que si elle est réalisée.

Ce principe de taxation des plus-values réalisées, pour les crypto-actifs, peut s’expliquer par plusieurs éléments juridiques.

  • C’est parce qu’on considère les monnaies virtuelles comme « des représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d’argent, mais qui sont acceptées comme moyen d’échange par des personnes physiques ou morales et qui peuvent être transférées, stockées et échangées par voie électronique ».

Cette définition est inconciliable avec la thèse que certains défendent concernant la taxation d’une plus value entre crypto-actifs.

On ne peut pas prétendre que les « représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique » puisse, en même temps être certaines et exigibles pour être taxées.

  • L’avis de la CNC 2021/16 va dans le même sens en ce qui concerne la comptabilisation des crypto-actifs dans la comptabilité d’une société et expose que :

C’est pourquoi la Commission préconise de comptabiliser les cryptomonnaies parmi les Autres créances, à l’actif du bilan. Une cryptomonnaie constitue en essence une créance sur une contrepartie future, qui est disposée à livrer des biens ou prester des services en échange d’une certaine quantité de cryptomonnaies (et de ce fait, prendre part au système des cryptomonnaies). La comptabilisation parmi les Autres créances indique qu’il ne s’agit pas d’une créance, par exemple sur un établissement de crédit, mais sur un nombre de parties qui est, à l’heure actuelle, limité. Une cryptomonnaie n’est pas un moyen de paiement admis par la loi. C’est une méthode permettant d’effectuer une transaction entre parties qui y consentent. Par contre, la comptabilisation en tant qu’Autres créances a l’avantage d’indiquer qu’une contrepartie individuelle doit encore accepter le règlement en cryptomonnaies. Ceci est nettement moins vrai en cas de qualification en tant que Placement de trésorerie et certainement pas en tant que Valeurs disponibles.

Réduction de valeur et plus-value de réevaluation

Par ailleurs, comme le préconise la CNC, les crypto-actifs sont des créances. En effet, une crypto-actif constitue en essence une créance sur une contrepartie future, qui est disposée à livrer des biens ou prester des services en échange d’une certaine quantité de crypto-actif(et de ce fait, prendre part au système des crypto-actif). 

Cette qualification n’est pas anodine et a pour implication que :

  1. Dans le cas précis des crypto-actifs utilisés comme moyen de paiement, lorsque leur valeur de réalisation à la date du bilan est inférieure à leur valeur comptable, des réductions de valeur doivent en principe être exprimées (et ce, en vertu du principe de prudence).
  2. La réévaluation des créances, lorsque le prix de la cryptomonnaie est plus élevé, n’est pas autorisée (les créances n’étant pas éligible à l’expression des plus-values de réévaluation). Cela signifie que si le cours est plus élévé à la valeur comptable encodé, il n’est pas possible de mettre à jour, à la hausse, la valeur comptable.

La position du Service des Décisions Anticipées

A noter aussi que la position du service des décisions anticipées (sur le sujet) confirme ce qui précèdent. Dans aucune décision publiée, la conversion entre crypto n’aboutit à la taxation d’une plus-value. Le détail des opérations n’est cependant pas précisé dans les décisions mais le lecteur avisé comprendra, en filigrane, le comportement de l’investisseur crypto et déduira comme moi, je l’espère, qu’il y a bien eu des conversions entre cryptos.

Une réponse du Ministre des Finances

Face à l’incertitude, j’avais participé à la rédaction d’une question parlementaire.

Celle-ci a trouvée réponse le 9 mars 2023 (voir le bulletin des Q/R – p.180).

Cette réponse pose questions sur plusieurs points.

La position du SDA sur les crypto-actifs

D’abord, le Ministre des Finances se fonde sur la position du SDA. Sur le plan des principes, cette réponse est étonnante. En effet, le rôle du SDA est de répondre à la question d’un contribuable sur une opération déterminée qui n’a pas encore produit ces effets (voir le site du SDA).

Les décisions du SDA n’ont donc pas une portée générale puisqu’elle s’applique uniquement aux opérations visées par le demandeur. Les décisions n’ont donc pas valeur de loi ou de circulaire administrative. J’en veux pour preuve qu’un contribuable ne peut se prévaloir d’une décision du SDA qui ne le concerne pas.

Par ailleurs, le SDA est un organe du SPF FINANCES qui détermine comment les lois d’impôts s’appliqueront à une situation ou à une opération bien précise. La décision n’est donc pas indépendante puisque les personnes qui la rendent sont des fonctionnaires du SPF FINANCES. Je ne pense pas que les décisions du SDA sont illégales mais je ne suis pas sûr qu’un juge aboutirait aux mêmes conclusions que le SDA ou un fonctionnaire fiscale. C’est d’ailleurs pour ça qu’un recours judiciaire est ouvert au contribuable qui voit une décision de taxation confirmée après un recours administratif.

La créance (in)certaine d’un crypto-actif

Ensuite, la justification du Ministre est incomplète. Le Ministre indique que :

Il est bien sûr question de plus-value lorsque la réalisation engendre un accroissement du patrimoine. Il a lieu de considérer qu’une plus-value est réalisée
lorsqu’un bien quitte le patrimoine en contrepartie de monnaie fiduciaire ou de tout autre bien, le cas échéant une
autre cryptomonnaie. Il est bien sûr question de plus-value lorsque la réalisation engendre un accroissement du patrimoine. La réalisation n’implique donc pas ipso facto une contrepartie en monnaie fiduciaire. Lorsqu’une plus-value résulte d’un échange entre deux biens, comme p. ex. une cryptomonnaie A contre une cryptomonnaie B, cette plus-value est « réalisée » et non « latente ».

Les crypto-actifs sont définis comme représentations numériques d’une valeur qui ne sont émises ou garanties ni par une banque centrale ni par une autorité publique, qui ne sont pas nécessairement liées non plus à une monnaie établie légalement et qui ne possèdent pas le statut juridique de monnaie ou d’argent.

Pour cette raison, on qualifie les crypto-actifs comme un droit de créance « futur ». Cette créance futur est incertaine quant à son montant et c’est pour cela que la CNC recommande de comptabiliser les crypto-actifs au poste « autres créances ».

On se trouve dans une situation où d’un côté (fiscal), on nous dit que la créance est certaine (et donc accroissement du patrimoine) et de l’autre (comptable et AML), que la créance est incertaine.

Il est d’ailleurs interdit, selon l’avis de la CNC, de réévaluer les crypto-actifs si le cours du marché est plus élevé que la prix d’acquisition. Or, il y aurait aussi « un accroissement du patrimoine » dans ce cas.

Cette contradiction entre la qualification des plus-value sur les crypto-actifs est d’autant plus flagrante et particulière car en matière de réduction de créance, la réduction est déductible à titre professionnelle que lorsque l’irrécouvrabilité de la créance devient certaine et définitive.

Il faut aussi préciser qu’en droit fiscal, ce sont les créances certaines qui sont taxables.

En matières de revenus professionnelles, on distingue les profits des bénéfices.

Les profits sont les revenus issus de l’exercice d’une profession libérale, d’une charge ou d’un office (médecin, avocat, huissier, notaire, kinésithérapeute, etc.) tels que les honoraires.

Les bénéfices sont les revenus perçus par une entreprise dans le cadre de toutes les opérations qui conduisent à son gain.

Le moment de taxation des profits est le moment de l’encaissement ou la perception du paiement (et non pas de la naissance de la créance). Il faut donc recevoir les fonds pour être imposé.

A l’inverse, le moment de taxation des bénéfices correspond à la naissance d’une créance certaine et liquide soit lors de l’émission d’une facture.

Pourquoi est-ce que pour les crypto-actifs, le fait générateur de l’impôt devrait se situer lors d’un swap qui, par définition, remplace une créance incertaine par une autre créance incertaine?

Pourquoi une telle divergence sans argument juridique ?

Je crois comprendre que la réponse du Ministre est inexacte car on ne comprend pas le problème. Il est évident que les opérations de swap devront être pris en compte pour calculer la plus-value lors de sa réalisation.

Conclusion

Dans le monde des crypto-actifs, pour autant qu’il soit possible de générer une plus-value lors d’un swap (à part faire de l’arbitrage entre 2 exchanges ou des flash loans mais dans ce cas, ce sera très certainement considéré comme un revenu divers ou professionel), est-ce que cette plus-value est taxable?

Ma réponse : non car le revenu n’est pas réalisé puisque toujours en crypto. CQFD?

La réponse du Ministre pose question sur le plan des principes et il n’est pas assuré qu’un juge tranche dans le sens du Ministre en cas de litige.

Par ailleurs, cette discussion peut être très théorique car si un investisseur swap ses cryptos avec d’autres cryptos, il est possible qu’à la fin, on considère que sa plus-value soit taxable à titre de revenus divers ou professionnels car elle ne résulterait pas de la gestion normale du patrimoine.

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