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Depuis quelques semaines, le débat sur la qualification des tokens en instrument financier (security) est revenu au 1er plan. Ces discussions, presque sans fin, ont été relancées à la suite des positions prises par la SEC, le régulateur financier américain. Son président, Gary Gensler, a pris la parole à plusieurs reprises sur le la qualification des crypto-actifs et à donner son avis sur ces questions. Suite au « Merge » d’Ethereum, Gensler a considéré que les tokens/coins qui utilisent le mécanisme de consensus « proof of stake » devraient être considérés comme des « security  » soit, en français, un instrument financier soumis à une législation rigoureuse.

Une fois encore, l’Ether est dans le viseur puisque Gensler avait déjà pris pour cible le coin de la blockchain Ethereum.

Qu’en-est-il en Europe ?

La question qui se pose est de savoir si un token est un instrument financier ou à tout le moins un instrument tombant dans le champ d’application des dispositions financières comme la directive MiFID II et le Réglement prospectus.

Aujourd’hui, le terme générique d’instrument financier s’entend de « toute sûreté ou tout droit [transférable] appartenant à l’une des catégories » énumérées dans la législation.

On considère que la caractéristique commune des instruments financiers est qu’ils sont « susceptibles d’être négociés sur les marchés secondaires ».

Il s’agit certainement d’une approche instrumentale que le législateur entendait poursuivre.

Il y a donc 3 éléments qui peuvent être considérés comme déterminants pour qualifier un token en instrument financier.

Que fait le token?

Il faut se poser la question de ce que fait un token. Est-ce qu’il donne un droit ou une sureté à son détenteur?

Quand on achète une action de société, une obligation ou un produit financier, il y a juridiquement un droit qui existe pour le détenteur de cet actif (droit au dividende ou droit au remboursement dans le cadre d’une obligation).

Il y a généralement un droit qui nait dans le chef du détenteur de l’actif :

  • Pour les actions, c’est le droit de vote et le droit aux dividendes (s’il y en a des dividendes distribuables).
  • Pour les obligations, c’est le remboursement de l’emprunt concédé (attention tout de même aux différents types d’obligations. Il y a une variété d’obligation avec des droits attachés qui peuvent être sensiblement différents).

Lorsque vous achetez un token, il faut se poser la question de savoir quel est le droit qui existe ? Gary Gensler considère que l’ETH est un security.

A mon avis, c’est inexact. L’ETH ne donne aucun droit. Il permet juste d’utiliser un réseau en payant les frais de transactions. Vous n’avez pas droit à un revenu par le simple fait de détenir de l’ETH. Il n’y a pas de revenu distribué en fonction de l’activité sur le protocole (transaction fees) ou de paiement fait en proportion d’un résultat.

Ceux qui pensent au stacking en lisant ceci et se disent que je me trompe doivent revoir les bases. Le stacking, c’est la mise sous séquestre d’un certain nombre de jetons pour participer à la validation/confirmation de transaction/blocs.

Le revenu est généré en raison d’une démarche active et positive du détenteur du jeton couplée à la prise d’un risque de perte (cfr. slashing). Avoir du ETH dans son wallet (hébergé ou pas) ne donne aucun revenu.

Des protocoles proposent aussi des « earn » qui ressemble à un compte d’épargne dans la TradFi. A nouveau, ce n’est pas la fondation Ethereum qui vous paie un revenu, c’est la plateforme où vous avez déposé vos tokens qui rémunère ce dépôt.

C’est sensiblement la même chose pour la majorité des tokens listés.

En soit, un token ne donne aucun droit (sauf exception comme pour des tokens qui ont un sous-jacent particulier).

En revanche, les tokens permettent une série d’usages. 

En déposant des tokens dans un pool de liquidités, vous recevez des LP tokens qui vous donnent un droit sur les frais de transactions. Dans ce cas, le LP token pourrait être considéré comme un instrument financier pour autant que les autres conditions soient remplies.

Si vous déposez vos tokens en « prêt », vous percevez un intérêt. Est-ce que le token déposé est un instrument financier pour autant. Je ne le pense pas car c’est l’usage que vous faites de l’actif qui permet de générer le revenu.

Si c’est la capacité de gagner de l’argent avec un actif qui permet de le qualifier comme instrument financier alors tout est potentiellement un instrument financier.

En ce sens, la qualification en instrument « financier » au sens large ne peut être admise puisque la détention d’un token ne donne aucun droit.

Echange sur un marché

Ensuite, si la question pertinente est de savoir si la catégorie de titres concernée est potentiellement négociable sur le marché, nous devons prêter attention à la façon dont ces marchés fonctionnent et se créent.

Le critère utilisé par la réglementation est « l’offre sur un marché ». Cela revient à considérer qu’une valeur mobilière qui n’est pas offerte à la vente sur le marché ne tombent pas dans législation financière ? A priori c’est effectivement le cas et la législation financière prévoit d’ailleurs des seuils et un régime de minimis. Cela permet donc de considérer que la réglementation financière s’appliquerait seulement au délà de certains seuils.

Ce critère d’offre au marché était très certainement pertinent à une époque où il était difficile de créer un marché.

En revanche aujourd’hui, les barrières à l’entrée sont réduites, voire éliminées, grâce à la technologie des registres distribués. Il suffit de respecter un standard ERC et lister le token sur un DEX via un pool de liquidités pour proposer un token. C’est d’ailleurs une des techniques utilisées pour monter des « arnaques ».

Les AMM (automatic market maker) pullulent et on retrouve des dizaines de projets au sein du même réseau qui font +/- la même chose. Pensez au nombre de DEX qui existent….

Le critère d’offre sur le marché est-il encore pertinent à l’heure d’aujourd’hui? Je ne le pense pas.

Enuméré dans la législation

A noter enfin que la législation financière mise en place vise à protéger le consommateur.  Cette réglementation impose aux acteurs de la TradFi la rédaction de documents (prospectus ou note d’information) qui ont pour objectifs de communiquer une information claire, complète et transparente aux investisseurs sur le produit acheté.

Ces documents vont d’ailleurs décrire les droits ou les suretés qui sont achetées par les consommateurs.

Rappelons aussi que la législation financière comprend une liste précise des types d’actifs/titres qui sont concernés.

On pourrait donc froidement considérer que les crypto-actifs ne sont pas dans cette liste et donc que la législation financière n’est pas applicable. Après tout, avec le règlement MICA, les informations rendues obligatoires pour l’émission de token sont précisées et permet d’apporter la protection au consommateur. On pourrait donc s’étonner de la création d’une réglementation particulière aux crypto-actifs au niveau européen si la législation financière s’appliquait déjà aux crypto-actifs.

Un autre règlement européen a été voté en juin 2022 qui a pour objectif d’encadrer l’émission d’instrument financier sur la blockchain.

Créer un cadre réglementaire spécifique disqualifie le cadre général selon le principe de « lex specialis derogat generali ». On constate d’ailleurs qu’aucun régulateur ne prend la peine de décrire le cadre applicable.

Est-ce qu’on peut donc espérer une attitude différente en Europe? Oui, je le pense. Les règlements européens votés ou en projet illustrent, en tout cas, une réflexion sur le sujet et la mise en place d’un cadre juridique plus clair.

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